La plupart du temps, nous, artistes en arts visuels, travaillons en
solitaire. Le geste d’exposer rompt cette solitude et confirme si ce que nous
produisons, ce qui nous obsède, peut aussi en intéresser d’autres.
C’est particulièrement vrai pour moi. La solitude, je connais, je travaille
en forêt. Depuis 1997, année où mes frères et moi avons acquis un boisé de 100
acres au pied du mont Mégantic (Cantons de l’Est), j’ai choisi d’explorer un
territoire de quelques kilomètres carrés entourant notre lot. Territoire que
depuis je revisite avec constance, année après année, saison après saison.
Marchant sur mes pas, j’y arpente les mêmes endroits en photographiant des phénomènes
qui m’intriguent ou m’émeuvent. Je suis témoin de l’évolution des lieux et, en
parallèle, mon regard évolue avec eux.
Rien de mieux si l’on veut voir le changement que de rester sur place. Avec
ma caméra, je découpe le sol de près pour enregistrer les marques de ce qui se
passe ou s’est passé : empreintes d’animaux et d’humains, avancées de la végétation,
variation de la lumière... En somme je photographie l’éphémère.
Durant le vernissage au Centre d’art de Kamouraska quelqu’un s’est approché
pour me dire que mon travail était en équilibre entre la vie et la mort. J’ai
apprécié la remarque. Je crois, en définitive, que je m’intéresse à l’existence :
à la mienne en relation avec celles qui m’entourent. Je cherche ma place. J’aimerais,
à la limite, faire partie du territoire que je parcours, me fondre dans le
paysage que je photographie. C’est une position que nous humains n’avons pas l’habitude
de prendre, considérant ce qui nous entoure comme extérieur et distant. C’est
probablement la raison de notre peu d’empathie pour la nature.
Donc après des années de marches lentes et méditatives, des heures passées à
sélectionner des photos pour en faire des séries qui se tiennent, on sent le
besoin de vérifier si ce que l’on a photographié était de l’ordre du mirage ou
de réalités que l’on peut communiquer. Dans ce sens des évènements comme La
Rencontres photographique à Kamouraska sont importants. Ils nous
permettent d’élargir notre accès au public, de sortir de notre milieu d’initiés
et de faire voyager notre travail. J’ai d’ailleurs très apprécié quitter
quelques jours un Montréal caniculaire pour la fraîcheur et la beauté calme de
Kamouraska.
À noter que j’ai trouvé intéressant la présentation, par La Rencontre
photographique, de plusieurs expos, très différentes les unes des autres, portant sur
un même thème, le paysage, la nature. Les visiteurs peuvent ainsi se
positionner quant à leur intérêt pour le sujet et l’approche choisie par les
exposants.
De mon côté, j’y montre dix-huit images grand format tirées d’une série
intitulée Comme un murmure, produite entre 2004 et 2010.
Durant le vernissage, très sympathique en passant, j’ai pu être témoin de
la réaction des visiteurs face à mes œuvres : des gens touchés qui me le
disaient, d’autres qui, par leur non-verbal, semblaient dérangés par des photos
prises dans des lieux inhabituels, humides et vaseux, où l’on n’a pas l’habitude
de se laisser aller à la contemplation.
Il faut que la beauté fasse des avancées hors de ce qui est convenu. Dans
ce sens, j’essaie de taper le chemin vers des recoins mal-aimés qui, étrangement,
me fascinent.
Normand Rajotte
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